Jean-Marc Kerviche
A propos d'une émission d'Elise Lucet sur les banlieues
Il est vrai qu’un jeune de Bobigny ou d’ailleurs n’a aucune excuse d’être un délinquant, même s’il vit dans une cité où la plupart de ses voisins sont sans emploi, où ses ainés eux-mêmes ont trouvé comme seul moyen de subsistance les trafics en tout genre oh combien rémunérateurs et que lui-même rencontre de grandes difficultés dans sa recherche d’emploi !
Un jeune de banlieue n’a aucun autre moyen de se réaliser dans un travail « normal ». Il est rejeté par la société qui le considère comme un étranger. Il a subi pendant toute son adolescence mépris et sarcasmes de la part de gens bien comme il faut. Il a vu ses parents s’humilier devant les autorités administratives, patronales ou policières dont ils dépendaient. Il a vu son père ou sa mère traité avec condescendance, voire mépris et lui-même attise la circonspection de services de police à chacune de leur rencontre. Imaginez seulement son ressentiment quand ce jeune qui n’a rien à se reprocher se fait contrôler deux, trois voire quatre fois le même jour par la même patrouille de police. Quand vous ressentez tout au long de votre existence rejet, jugement, méfiance, quand vous ne recevez pas les mêmes attentions qu’un autre jeune « normal » quand vous n’avez pas la reconnaissance des DRH car catalogué par votre patronyme ou par votre lieu de résidence qui sont autant de filtres handicapants pour trouver un travail « normal ». Alors, vous vous radicalisez. « Vous ne voulez pas de moi, eh bien moi non plus, je ne veux pas de vous ! » A l’instar des filles qui se voilent, « Vous ne me reconnaissez pas, eh bien vous ne me reconnaîtrez plus »
Et comme tout jeune adolescent, plus ou moins « border ligne », il ne peut se réaliser qu’en étant contre. Contre ses parents d’abord qui ne disposent pas des moyens de le comprendre, contre la société qui le rejette comme tenu de son profil, contre tous ceux qui le considèrent en tant que délinquant potentiel.
Pensez qu’il n’existe même plus le fameux service militaire qui leur permettrait de faire des rencontres, ils restent dans leurs cités qui deviennent à terme des zones de non droit voire des ghettos.
A ce propos Elise Lucet l’autre soir à ONPC ne comprenait pas que des jeunes partent faire le djihad, alors même que certains ne sont même pas arabes.
C’est pourtant facile à comprendre (et je comprends d’autant mieux que je me suis moi-même engagé dans la Marine à 18 ans), les jeunes ont besoin de se réaliser, besoin d’actions, besoin de se sentir utiles, besoin de servir. Quand on pense que Mohamed Merah cherchait à entrer dans l’armée avant ses forfaits et qu’il a été rejeté. Quand on pense que la France a apporté son aide en Libye pour virer Kadhafi et était sur le point d’envoyer des troupes en Syrie pour contrer Bachar el-Assad et qu’il n’en a rien été.
Ce que les jeunes ont compris c’est qu’ils devaient se sentir et être utiles et la cause leur semblait légitimée par les atermoiements de la politique. Leurs volontés de bien faire, d’œuvrer pour le bien a été détournée par des gens qui les reconnaissent pour ce qu’ils font.
La reconnaissance c’est tout ce qu’ils cherchaient à l’origine ! Ils l'ont trouvée chez des gens qui les utilisent pour servir leurs plus sombres desseins jusqu'à en mourir...
Elise Lucet n’a apparemment rien compris ! Soit elle n’a jamais été jeune, soit elle est née avec une cuiller d’argent dans la bouche.
Et pourtant Elise Lucet, je l'aime bien !