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Que sont nos amours devenues ? 

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Il nous est tous arrivé d’avoir une pensée pour des êtres qui nous ont été chers à un moment de notre existence. Les circonstances de la vie nous ayant dirigés vers d’autres horizons et quand d’autres obligations nous ont fait rencontrés d’autres personnes, peu à peu se sont effacés de notre mémoire ceux qui nous ont quittés ou que nous avons délaissés.

Des relations d’enfance épisodiques ou permanentes que nous avons à un moment passées sous silence, amicales ou amoureuses oubliées, effacées, balayées, négligées auxquelles restent attachées des souvenirs qui reviennent comme des spectres quand à certains moments nous échappons à nos préoccupations et nos soucis quotidiens.

Ce matin mes pensées allèrent vers un ami, un ami cher que je ne rencontre plus depuis ce coronavirus qui nous oblige à nous confiner, je devrais dire plutôt nous enfermer et nous sommes tenus de rester chacun chez soi, chacun dans sa sphère, dans la crainte permanente d’être contaminé et de subir les intubations dont nous sature la télévision et qui sait ? Nous conduire à une mort certaine d’après ce que nous disent nos gouvernants et les informations qu’on nous diffuse en permanence toujours plus inquiétantes que jamais.

Presque un an s’est déjà écoulé et je n’ai plus de nouvelles de lui. Il me manque et je ne peux me manifester.

La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était en Janvier 2020. Dans cet hôtel face au théâtre Antoine qui abritait nos élans secrets. Et depuis, plus rien.

Oui, depuis l’arrivée de ce satané virus, nous sommes restés l’un et l’autre sans pouvoir échanger. Pas un coup de téléphone, pas une missive, rien. Et comme, je n’ai ni son adresse ni son numéro de téléphone et lui n’ayant vraisemblablement rien de moi, nous ne pouvons correspondre. Et ça, c’était un accord entre nous. Nous nous aimions en secret en catimini, en toute discrétion, sans paroles inutiles, avec avidité, envies, besoins irrépressibles et pulsions irraisonnées, sans gêne et sans retenue, nous nous sommes donnés l’un à l’autre sans réflexion, sans calcul, sans craindre les lendemains qui chantent ou qui déchantent…

Il avait sa vie, j’avais la mienne. C’était ainsi, chacun trouvait ce qui lui manquait chez l’autre et cela nous satisfaisait.    

Nous nous sommes tant aimés à l’abri des regards déplacés et inopportuns, des idées reçues, des non-dits, des sous-entendus, des mauvaises langues et autres colporteurs de rumeurs, commérages de mauvaises intentions, tout ça afin d’éviter les histoires, les qu’en dira-t-on, pour ménager susceptibilités et suspicions. Nous nous retrouvions dans cet hôtel près de la Porte Saint-Martin, un petit hôtel sans prétention face au théâtre Antoine au charme discret accueillant les amours interdites et inavouées.

Et maintenant que vais-je faire ? Allez à sa rencontre dans les lieux où nous nous retrouvions l’année passée ? Arpentez les rues, les restaurants, cafés et salons de thé qui nous recevaient étant irrémédiablement clos depuis quelques mois ? Interroger Internet ?

Comment procéder ?

Je traîne dans les rues mon attestation de déplacement dérogatoire dûment remplie en poche m’autorisant à moi-même une absolue nécessité, acquérant ici et là des denrées pouvant justifier mes déplacements en me heurtant imparablement aux portes désormais closes des lieux qui nous recevaient.  

Je ne cesse de penser à lui. Il me manque. Comment le joindre ?

Fort heureusement les hommes contrairement aux femmes ne changent pas de noms par mariage en modifiant leur identité, on les retrouve toujours, si toutefois ils se manifestent sur internet.

Voyons son nom, Jacques, Jacques Firmin Derran.

Un coup d’œil sur Google et j’apprendrais tout sur lui. Seulement rien sur Google. Je sollicite d’autres moteurs de recherche… et d’autres encore, jusqu’à ce que je tombe sur lui. Et que vois-je ? Je m’y reprends à deux fois… Je lis et ne comprends pas… Quelque chose m’échappe… Il serait décédé… Non ? ce n’est pas possible, je n’ose le croire… satané virus, il m’a enlevé le seul être qui me faisait espérer, même si je n’avais aucune conscience d’une quelconque espérance… Tout s’écroule.

Je me souviens de lui, de ses élans de tendresse, de ses caresses et ces moments de silence où je volais sur ses lèvres des baisers que parfois par jeu ou par malice, il me privait.       

J’ai tout aimé de lui, ses fous rires, son sérieux, la tête qu’il faisait quand une contrariété, un contre temps ou un souci le chagrinait...

Mes yeux s’emplissent de larmes… Mais, mais… je me penche à nouveau sur l’écran et que vois-je encore ? Ce ne peut être lui, l’annonce précise en toute lettres ce que ma première réaction m’avait empêché de lire, mes yeux s’étant embués. Je n’avais pas lu l’année du décès : 2006.

Je deviens folle. Si je me souviens bien, c’est précisément l’année où nous nous sommes rencontrés.

Quelque chose m’échappe. Qu’est-ce que cette histoire ?

Un moment troublée, on le serait à moins, je relis l’annonce nécrologique. Ce ne peut être lui, les mêmes noms et prénoms, certes, mais les dates ne correspondent pas. Mon Jacques ne peut être mort en 2006 puisqu’en Janvier 2020 il était bien vivant entre mes bras, je peux vous l’assurer. Je suis soulagée.

Un espoir renait. C’était une erreur. Je me suis trompée.

Que pourrais-je faire pour le rencontrer à nouveau, l’entendre à nouveau, le revoir ne serait-ce qu’un instant me ravirait le cœur, me réchaufferait l’âme.

Le téléphone sonne. Je sors de la torpeur qui m’entrave, me déplace vers l’appareil et décroche.

-           Allo !

-           Bonjour Véronique… C’est moi, Jacques !  Comment vas-tu ?

… …

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Une révélation

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            Par un fait du hasard, j’apprenais par un de mes cousins que notre oncle Antoine venait de décéder et que ses obsèques étaient fixées un 28 juin.

            Voici très longtemps que je ne m’étais rendu dans la famille, une bonne vingtaine d’années pour être précis. L’occasion de les revoir et auprès d'eux me ressourcer. Je décidais donc de m’y rendre.

            J’arrivais de Paris le jour dit très en retard.

            L’office religieux précédant l’enterrement était déjà en cours. Tout le monde n’ayant pu entrer dans l’église, un monde fou se pressait devant la porte principale.

            Je ne pouvais me permettre d’entrer sans gêner la multitude de gens qui s’agglutinaient sous le porche. Une idée me vint alors. Sachant qu’il existait une porte sur le côté du transept gauche, une porte par laquelle je passais étant enfant, je m’y précipitais.

            En effet, la porte n’était pas fermée, je pénétrais dans le croisillon et me glissais entre les personnes déjà en place. Mais ne pouvant m’avancer vers la famille, toutes les places étant occupées, j’avisais un espace libre en retrait pour ne pas déranger davantage l’assistance. De l’endroit où je me trouvais, je pouvais observer ma tante et les deux filles de mon oncle. Mes cousines germaines avec qui je jouais étant enfant, en larmes, prostrées devant le cercueil de leur père.

            L’atmosphère était lourde, pesante comme dans tous ces cérémonies précédant les inhumations.         Enfin la messe s’acheva. Le curé libéra l’assemblée et les porteurs enlevèrent le cercueil pour le conduire hors de l’Eglise par la travée centrale de la nef.

            Je ne pouvais rester en place. Il me fallait me manifester et retrouver ma famille. Me rapprocher de ma tante et de mes cousines pour leur apporter mon soutien et partager leur peine, mais il m’était impossible de me joindre à elles sans bousculer la foule qui se pressait à leur suite. Je choisissais de sortir par la porte où j’étais entré.

            Mais la pluie s’étant invitée pendant l’office, des trombes d’eau nous empêchaient de sortir. Des rafales de vent rabattaient par vagues l’eau du ciel sur les chaussures et les bas de pantalon. Impossible donc de sortir avant une accalmie. Etant sans parapluie, je demandais à quelqu’un de m’abriter et une fois dehors, je me précipitais vers ma voiture qui évidemment était éloignée de l’église… oui, l’affluence était telle que je n’avais pu me garer plus près.

            Ayant récupéré non sans mal mon parapluie qui s’était glissé sous un siège, je me lançais dans la poursuite du cortège déjà en marche vers le cimetière.

            La pluie redoublait en intensité. Je m’insérais dans la file des parapluies, mais ne pouvais remonter plus avant tant les gens se serraient les coudes. Je me calais donc entre un groupe de personnes qui conversaient entre elles.

            Des bribes de conversation me parvenaient aux oreilles...

            J’écoutais distraitement… et soudainement je réalise qu’on parle de mon oncle, de ses rapports avec ses voisins et les gens du village. On évoque son humanité, sa gentillesse… puis la conversation prend une tournure différente sur ton plus égrillard, plus licencieux, on se remémore les rapports qu’il entretenait avec les femmes.

            - Un chaud lapin… enchérit l’un

            - Ah ça, tu peux le dire… répond un autre !

            Je ne m’imaginais pas mon oncle décrit de la sorte, et je me rapproche d’eux subrepticement dissimulé sous mon parapluie pour en apprendre davantage. Aucun ne parait gêné par la tournure de leurs échanges et moi je persiste à écouter discrètement leurs propos sans mot dire. La discussion se poursuit de plus belle :

            - Tu te souviens de cette histoire avec une de ses belles-sœurs, la femme de Lucien, et ce scandale dans la famille étouffé par le départ du frère embarquant sa femme à Paris.

            - Oh, mais c’est vieux tout ça !

            - Oui, mais en attendant un gosse est né et celui qui l’a élevé n’est pas le père…

            Là-dessus, une voix s’élève :

            - Comment ça ?

            - Ben oui ! Antoine est le père d’un de ses neveux ! T’es pas au courant ?

            - Je savais seulement qu’il fricotait avec la femme d’un de ses frères pendant que le frère était prisonnier en Allemagne… mais j’en savais pas plus…

            - Ah ben, t’es bien le seul… ici tout le monde est au courant…

            Et se sentant en verve, ce dernier ne peut s’empêcher d’en rajouter.

            - Oui, d’ailleurs un enfant est né, et le père… enfin celui qui l’a élevé, Lucien, est rentré de captivité juste à temps pour reconnaître le gosse… enfin quand je dis juste à temps… pour arranger les choses on a prétendu que le gosse était prématuré…

            - Non !... Et le gosse, tu l’as déjà vu ? On le connait ? C’est qui…

            - Quelqu’un qui ne vient jamais par ici…

            - Et Lucien… t’as des nouvelles ?

            - Il est mort il y a quelques années. Il ne venait plus par chez nous depuis cette histoire…

            … Je continue à marcher tel un automate vers ce cimetière de campagne où l’on va, aujourd’hui même je viens de l'apprendre, enterrer mon père…

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Aéroport de Manocomba, 8h (heure locale).

                        Les cars venaient de quitter l’aéroport après avoir déversé leur flot de touristes pour les premiers envols du matin. L’affluence était telle que chacun s’empressait de se diriger avec ses bagages vers l’entrée des halls d’embarquement pour se répartir dans des files d’attente qui commençaient à s’allonger au gré des arrivées.

                        Nicolas et sa femme se placèrent à la suite de l’une d’elle qui indiquait les coordonnées de leur vol vers Paris. Puis, après avoir fait enregistrer leurs bagages les voyageurs s’engagèrent l’un après l’autre par les détecteurs de filtrage et quelques-uns, choisis au hasard, étaient dirigés vers d’autres contrôleurs. Arriva le tour de Nicolas et de sa femme qui passèrent sans que l’appareil de détection ne réagisse, mais on leur pria néanmoins de passer par le contrôle manuel.

                        Alors qu’il croyait que ses bagages étaient déjà enregistrés et probablement en chemin vers les soutes de l’avion, Nicolas fut surpris d’apercevoir que ses valises étaient exposées sur une table.

                        On le pria de s’en approcher et d’ouvrir ses propres bagages pour un examen approfondi.

                        Une goutte de sueur commença à perler au front de Nicolas qui, gêné, l’essuya rapidement. Les inspecteurs entamèrent leur examen pour finalement tomber sur un épais portefeuille en cuir beige glissé entre deux maillots…

                        … Ils l’ouvrent, constatent qu’il contient une somme importante de devises, vérifient les papiers qu’il contient et examinant de plus près la photo de la pièce d’identité réalisent avec stupéfaction que le portefeuille qu’ils ont en main n’est pas au nom de celui qu’ils ont devant eux.

                        Nicolas est sommé de s’expliquer.

                        Il leur déclare qu’il a trouvé ce portefeuille dans la rue et réalisé qu’il appartenait à un Français. A son retour d’excursion, il s’était renseigné auprès du concierge de l’hôtel qui l’hébergeait pour savoir si son propriétaire faisait partie de la clientèle et devant la réponse négative de celui-ci, il avait estimé que, vu l’importance du contenu, non seulement la somme d’argent risquait de disparaître, mais aussi que les pièces d’identité ne soient pas restituées au propriétaire du portefeuille, il ne le lui avait donc pas remis. Oui, le propriétaire du portefeuille habitant Paris, Nicolas a pensé légitime que ce dernier aurait plus de chance de le récupérer s’il le gardait avec lui pour le lui rendre dès son retour en France et non le confier à un étranger, fût-il directeur d’hôtel. 

                        Devant ses explications alambiquées, les inspecteurs l’invitent à pénétrer dans un des bureaux pour enregistrer et officialiser ses déclarations. Sa femme étant invitée également à les suivre pour prendre place dans un autre bureau.

                        Nicolas se prépare aux mêmes questions. Questions auxquelles il se soumet volontiers pensant qu’on le laissera repartir une fois cette procédure accomplie… or au bout d’un temps exagérément long, il réalise soudain en jetant un coup d’œil à sa montre que son avion a vraisemblablement décollé du tarmac vers la France. Il n’a pas revu sa femme et se demande pourquoi elle est aussi retenue. Son emploi du temps est rigoureusement analysé, ses faits et gestes dûment répertoriés. L’affaire semble s’envenimer.

                        Il ne comprend pas ce qu’il lui arrive et commence à regretter son initiative. Mais pourquoi sont-ils donc retenus tous les deux dans deux pièces séparées avec l’impossibilité de communiquer entre eux.

                        On lui explique que c’est pour les besoins de l’enquête.

                        Il ne comprend rien à rien, noie de questions les personnes présentes lesquelles ont pour consignes de ne pas lui parler. Précaution inutile, puisqu’ils ne risquent pas de se comprendre.

                        Un enquêteur entre et commence à l’interroger. On lui demande pour quelle raison il s’est rendu au 8ème étage alors que sa chambre était au 6ème. Il ne se souvient pas être allé à cet étage mais finit par convenir qu’il s’y est peut-être rendu par erreur mais cela ne l’a pas marqué. Il ne souvient de rien de précis mais puisqu’il en a marre de toutes leurs questions, il finit par consentir qu’il s’y est peut-être rendu, par erreur ajoute-t-il.

                        Il espère par cet aveu au demeurant anodin que s’il accepte la version des policiers on le laissera tranquille, et que tout ce cirque va s’arrêter…

                        La journée se passe entre questions et réponses. On le presse, on le pressurise, on le bouscule et de temps à autre, les enquêteurs, qui ont très certainement besoin de souffler, le placent dans un réduit d’à peine trois mètres carrés avec pour toute commodité une toilette à la turque sale et bouchée. Il pense à sa femme. Elle doit être dans tous ses états.

                        Mais pourquoi le retient-on ? Parce qu’il était en possession d’un portefeuille qui ne lui appartenait pas. Il a pourtant bien expliqué pourquoi il avait agi de cette façon en évitant bien sûr la première idée qui lui était venue à l’esprit, celle de considérer la police de ce pays sujette à corruption. Un aveu de ce genre n’aurait pas arrangé ses affaires, loin de là… Il avait déjà assez de problèmes comme ça sans en rajouter. 

                        Mais pourquoi avait-il été au 8ème étage ainsi que le prétendent les enquêteurs ? La question lui taraude l’esprit et il ne trouve aucune réponse.  Pourquoi s’y était-il rendu ? Il ne peut s’ouvrir à qui que ce soit. Ses gardiens l’évitent et il ne sait plus où est sa femme… dans une cellule voisine de la sienne probablement, ou ailleurs… ou encore peut-être, était-elle libre, et partie à destination de la France ? Il l’ignore. On le laisse dans le vague…

                        Venir dans un pays en touriste et se retrouver en tôle pour avoir trouvé un portefeuille qu’il se destinait à rendre, c’était tout de même un peu fort.

                        On le laisse tranquille la nuit entière et ce n’est qu’au petit matin qu’il se retrouve emmené menottes aux mains dans une autre aile de l’aéroport, dans un lieu où les touristes n’ont pas accès. On le fait entrer dans une vaste pièce mal éclairée, où l’attend un militaire galonné derrière un bureau sur lequel est placée une énorme lampe.

                        Deux hommes le prennent aussitôt par les bras en le soulevant presque de terre, puis l’obligent à s’assoir sur une lourde chaise en fer fixée au sol devant le bureau de l’officier chamarré. Ces deux cerbères le serrent de près. L’un d’eux le libère d’une menotte pour l’attacher à un barreau de sa chaise.

                        Eperdu, il observe les deux hommes au profil plus qu’inquiétant, remarque que chacun d’eux portent un holster contenant une arme en bandoulière sur la poitrine. Il les découvre sans bien saisir la raison de leur présence et ne comprend pas que ces deux brutes épaisses, loin de lui inspirer confiance, aient le droit de lui maintenir les épaules au point de lui faire mal, et ce d’autant plus que l’un d’eux à une tête d’australopithèque.

                        Que craignent-ils ? Nicolas ne se sent pas si menaçant !

                        Après avoir décliné son identité, il se laisse prélever les empreintes digitales de tous ses doigts en se demandant en lui-même à quoi cette opération pourrait servir, mais sachant par expérience qu’il risque d’être mal perçu par ces gens sans nuances entre les mains desquels il se trouve, il se garde bien de manifester son agacement. « La procédure, rien que la procédure, rien de moins, rien de plus » répète-t-il en lui-même pour se calmer.

                        On étale devant lui sur le bureau le portefeuille et son contenu qu’il avait dans ses bagages et on lui demande comment il se l’est procuré. Il répète sa version. On lui fait répéter plusieurs fois ses allégations, ce qui ne satisfait pas le gradé. Celui-ci place alors devant les yeux de Nicolas la photo d’un homme qu’il reconnait aussitôt comme étant celui du portefeuille. Curieusement celui-ci dort ou parait dormir. Il regarde la photo un moment sans comprendre ce qui se passe.

                        L’officier lâche :

                        - Cet homme est mort assassiné dans la nuit du 9 au 10 août…. Et on retrouve ses papiers et son argent dans votre valise… comment vous expliquez ça !   

                        Nicolas accuse le coup. Comment ? L’homme du portefeuille serait mort !                       

                        Abasourdi par cette révélation Nicolas se sent l’espace d’un instant perdre pied. Il s’efforce néanmoins de garder vis-à-vis de ses interlocuteurs une attitude la plus neutre possible. C’est qu’il lui faut réfléchir et vite, rester cohérent dans l’attente d’une foule de questions qu’il imagine déjà toutes aussi dérangeantes les unes que les autres.

                        Un maelstrom d’idées le submergent, il ne sait plus quoi penser :

                        « Mais pourquoi ai-je ramassé ce bon dieu de portefeuille ? Pourquoi ne l’ai-je pas mis dans une poubelle. Mais aussi quelle idée de le garder avec moi ? Pour le rendre ? Mais bon dieu pourquoi je me mêle toujours des affaires des autres, moi, le redresseur de tort, à toujours vouloir défendre l’indéfendable… Et pourtant c’est la vérité, je suis comme ça, on ne se refait pas… je persiste ! Bien sûr qu’on va me croire dans un pays où s’accaparer les biens d’autrui est un sport national ! Et voilà maintenant, on va me coller un meurtre sur le dos. » 

                        Dans son cerveau, les idées se bousculent. Sa tête explose :

                        « Mais bon dieu, qu’est-ce qui m’a pris de le conserver ? Comment vais-je pouvoir me sortir de ce pétrin ? Comment vais-je pouvoir expliquer que je n’y suis pour rien dans ce meurtre ?                        Bon d’accord, j’ai le portefeuille de ce type mais ça ne prouve pas que c’est moi qui l’ai tué ! Que vais-je devoir inventer pour être crédible ?

                        Perdu dans ses pensées, comme absent, on ne lui laisse pas le temps de produire un raisonnement sensé.

                        Une nouvelle question fuse :

                        - Alors comme ça, tu n’y es pour rien dans ce meurtre ? Va pourtant falloir que tu nous expliques ce que tu as fait dans la nuit du 9 au 10 août ! lui assène l’officier face à lui.

                        Le cerbère de gauche prend l’épaule de Nicolas à pleine main, la triture douloureusement et le secoue car il tarde à répondre. Surpris, Nicolas s’affaisse sous la pression exercée.

                        L’homme lui assène un coup derrière la tête en lui jetant :

                        - On a suffisamment de preuves pour te coffrer et te conduire devant les juges ! 

                        Interpellé, Nicolas se tourne vers lui sans comprendre ce qu’il vient de dire. Tout juste s’il l’entend.

                        - Comment tu nous expliques ça ! On aimerait savoir ! Hein ! Saches que tu n’es pas près de sortir d’ici ! Renchérit le galonné.

                        - Oui, on aimerait savoir… lui fait à sa droite le néandertalien en lui tapant plusieurs fois dans le dos.

                        Tout s’embrouille dans la tête de Nicolas. Il se demande bien ce qu’il va advenir de lui et une idée lui vient subitement. Il lance à brûle pourpoint :

                        - Je demande la présence d’un avocat !

                        Il perçoit chez eux une stupéfaction, et pour toute réponse ils éclatent de rire. Avant qu’ils ne lui répondent et se remettent à le rudoyer, Nicolas continue sur le même ton :

                        - Vous ne comprenez même pas ce que je dis. Quand je vous dis que j’ai trouvé ce portefeuille dans la rue, je le répète, là où se rangent tous les cars des hôtels voisins à destination des lieux d’excursions, et que je l’ai gardé pour le rendre à l’intéressé une fois être arrivé en France avec l’intégralité de ce qu’il contient. Je vais même vous dire pourquoi j’ai agi de la sorte. Parce que si j’avais remis ce portefeuille à la réception de l’hôtel ou à qui que ce soit, et même à la police… 

                        Il se retient l’espace d’un instant et finalement lâche :

                        - … J’étais assuré que l’argent qu’il contient aurait disparu. Et que ses papiers d’identité auraient pu servir à toute autre malhonnêteté…

                        Nicolas vient de lâcher tout ce qu’il a sur le cœur et ce qu’il a dissimulé jusqu’ici.

                        Il continue cependant à rechercher une échappatoire, réalisant soudainement que cela ne sert à rien d’insister auprès de gens convaincus qu’il est l’assassin d’un homme qu’il ne connait même pas. Oui, comment s’exprimer à des gens prétendant détenir des preuves et des témoignages irréfutables attestant son implication. Des témoins, on en trouve toujours pour attester n’importe quoi… quelques billets voire quelque arrangement ou avantage quelconque et l’on obtient tout ce qu’on désire.   

                        Sachant pertinemment que le sens d’une question détermine toujours l’intérêt qu’on a à la poser, il décide dès lors de garder le silence et d’attendre les bribes d’informations qu’immanquablement ces hommes distilleront au cours de l’interrogatoire. Selon les questions, il en déduirait sa réponse en fonction des indications comprises dans leurs éléments de langage. Il apprend ainsi que des témoins l’ont effectivement vu au 8ème étage et qu’il allait bientôt être confronté à eux.

                        Nicolas se demande en lui-même s’ils ont d’autres informations sur son compte mais par crainte de se dévoiler, il se garde de leur poser des questions.

                        Il est plus de minuit, Nicolas est harassé. Il a passé la journée entière, bringuebalé entre les mains de pseudo-policiers qui cherchent à le faire avouer un forfait qu’il n’a pas commis et qu’ils lui attribuent à tort. 

                        On ne lui avait apporté que deux sandwichs, un à midi qu’il avait dédaigné, un vers vingt heures qu’il avait à peine touché. Il commence à regretter de ne pas les avoir ingérés. Campé sur ses positions, il persiste dans ses déclarations, dénie point par point tout ce qu’on lui présente comme avéré, revenant même sur ses précédentes déclarations attestant une visite au 8ème étage. Jamais il n’était monté à ce niveau.

                        Le problème, c’est qu’il a signé une attestation comme quoi il s’y était rendu bien avant d’apprendre qu’un homme avait été tué à cet étage… Il réalise soudain qu’on peut lui faire dire n’importe quoi...

* * *

                        Est-ce par pur sentiment d’humanité vis-à-vis de l’image misérable qu’il affiche ou tout simplement parce qu’ils sont eux-mêmes éreintés que les barbouzes conduisent finalement Nicolas dans la cellule qu’il avait quittée le matin même ?

                        La froide austérité des lieux et la lumière aveuglante ne l’empêchent pas de s’endormir comme une masse sur un semblant de banc en béton lissé.

                        On le tire de son sommeil vers les 5 heures du matin. Il n’était allongé que depuis quatre heures et à son réveil, il se lève la tête lourde avec énormément de mal à se redresser tant des douleurs dont il ignore l’origine le font souffrir. En se relevant du banc sur lequel il s’était assoupi, il se rend compte que le mince tapis en mousse avait glissé et qu’en fait, il avait dormi à même le béton. 

Le temps de se réveiller, il se remet en mémoire l’interrogatoire de la veille. Il a la tête lourde et une lancinante migraine, réclame une médication à l’homme qui le réveille. On le ramène dans la même salle obscure et l’un des intervenants s’absente un moment pour revenir avec ce qu’il venait de demander. A peine a-t-il ingurgité le breuvage effervescent qu’ils recommencent à le cuisiner de plus belle en reprenant les mêmes imprécations menaçantes de la veille. Nicolas contrôle tant bien que mal ses réactions, essayant de ne rien laisser paraître. 

                Ils insistent tant et tant reprenant les questions de la veille, usant de coups et de traitements de plus en plus violents. Nicolas ne cesse de geindre et répète sans cesse :

                - Mais j’en sais rien ! J’en ai aucune idée ! Qu’est-ce que vous voulez que je vous réponde ? Vous voulez me coller un meurtre sur le dos alors que je n’ai rien fait !

                Nicolas est accablé. Il renchérit.

                - …Tout simplement parce que j’avais le portefeuille de cet homme. Je vous ai déjà dit que c’était pour lui rendre à Paris… Pourquoi vous en prendre à moi ?

                - C’est nous qui posons les questions ! lui assène le galonné.

                Les barbouzes se regardent, semblent se concerter. Nicolas sent qu’ils vont passer à un autre stade de l’interrogatoire et peut-être user de plus de violences pour le faire avouer.

                L’officier se fait plus précis. Il lâche sentencieusement :

                - Admettons que ce que tu dis est vrai, tu peux nous expliquer comment le possesseur du portefeuille aurait quitté notre beau pays sans justifier de son identité et comment il aurait pu prendre l’avion pour retourner en France sans ses papiers ?

                Nicolas blêmit sous l’annonce, mais il a une réponse toute préparée et c’est un miracle qu’il s’en souvient encore :

                - Il lui aurait suffi de se présenter au Consulat Français et il n’aurait rencontré aucun souci pour justifier son identité, lâche-t-il, arguant du fait que ça arrivait souvent vu le nombre de kleptomanes et de voleurs à la tire dans ce pays…

                - C’est de notoriété publique ! Ajoute-t-il en criant, passablement énervé.

Bien qu’il n’en mène pas large, il est surpris par ce qu’il vient de lâcher.

Il regrette aussitôt ses propos et en est à se demander si ce qu’il vient de proférer ne va pas aller l’encontre de ses intérêts qui sont de quitter le plus rapidement possible ce pays.

                - Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ?

                - Fais pas le malin ! On n’en sait plus que tu penses… On sait que tu t’es renseigné auprès du concierge de l’hôtel sur la présence de la personne que tu as assassiné, et des témoins t’ont vu au 8ème étage près de sa chambre.

                A la tête que fait Nicolas, les flics commencent à réaliser qu’ils n’iront pas plus loin, qu’ils ne feront rien de plus que de s’énerver et celui qu’ils détiennent doit avoir à n’en pas douter quelques troubles neurologiques aggravés en cela par une mémoire déficiente…

                … Nicolas se trouve pressé comme entre les mâchoires d’un étau. Il ne sait plus où il est, ne sait plus ce qu’il fait, se demande s’il y a encore quelque espoir qu’on le comprenne. Il a soif. Il a faim. Il veut que tout s’arrête. Qu’on en finisse une fois pour toutes… Il se débat d’entre ses tortionnaires, leur échappe un moment et court pour éviter qu’on le rattrape. Mais ils s’accrochent à lui… le maintiennent…

                … Soudain deux hommes en blanc viennent d’intervenir. Ils le bloquent au le sol puis, le soulevant, le réinstallent et l’attachent sur un brancard. Ils sont aimables et conciliants :

                - Allons Monsieur, calmez-vous…

                Et s’adressant à sa femme :

                - Ne vous inquiétez pas Madame, ce sont les effets secondaires d’un nouveau traitement que le docteur lui a prescrit hier et auquel il doit s’habituer… Rassurez-vous et partez tranquille, demain il ira mieux…

                - Madame ! Madame ! J’oubliais de vous dire… On a trouvé son portefeuille. Quelqu’un l’a retrouvé et on l’a déposé à l’accueil ! Vous pouvez le récupérer…

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Elle attendait un colis…

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Marthe se sentait seule et abandonnée. Depuis la mort de son mari, elle s’enfermait dans son appartement et ne sortait pratiquement jamais de chez elle, ou seulement pour faire quelques courses en quête du minimum nécessaire. Rien ne semblait l’intéresser, et Jeanne, sa fille, se faisant du souci pour elle, s’inquiétait de la voir dans cet état. Celle-ci l’aurait bien prise avec elle, mais son appartement était trop exigu et son mari s’y serait vraisemblablement opposé. Ils cohabitaient déjà assez mal tous les deux, les frictions n’étant pas rares au sein du couple, le pire était prévisible.

Jeanne se contentait donc de venir la voir une ou deux fois par mois, restait deux ou trois jours, et la mort dans l’âme de devoir quitter sa mère s’en retournait chez elle par le dernier train.

Marthe sentait bien que Jeanne s’inquiétait pour elle et voir les attentions manifestées par sa fille, empreintes d’une sollicitude affectée, lui pesait encore plus que sa propre solitude. Alors elle imagina un stratagème pour l’apaiser.

Deux jours avant que celle-ci n’arrive, elle se rendit à la ville voisine, acheta un corsage à sa taille, dicta un mot à la vendeuse que cette dernière transcrivit sur une feuille de papier. Puis, elle empaqueta le corsage avec une enveloppe contenant le mot et se rendit sans attendre à la poste pour adresser le tout à elle-même en recommandé.

Ainsi fait, pensait-elle sa fille ne s’inquiéterait plus pour elle.

Et ce jour arriva. Jeanne et sa mère étaient ensemble lorsqu’arriva le colis. Marthe joua la surprise.

Elle ouvrit le paquet, étonné par ce qu’il contenait, en retira le corsage et, comme elle l’avait prévue, la lettre dissimulée dans les plis de l’étoffe tomba à ses pieds. Elle la ramassa, l’ouvrit, donna l’illusion de parcourir les quelques mots inscrits sur la feuille qu’elle contenait puis elle escamota le tout dans une poche de son tablier.

Marthe ne fit aucune mention à sa fille.

Intriguée, Jeanne s’étonna même que sa mère ne s’ouvrit point à elle. Elle commençait seulement en elle-même à se poser des questions, mais n’interrogea pas sa mère par crainte de se montrer trop intrusive.

Sa mère n’était pas du genre à se commander quoi que ce soit. Qui pouvait donc lui envoyer ce colis ? Connaîtrait-elle quelqu’un ?

Et Jeanne passa la journée à se demander ce que cette lettre pouvait bien receler comme secret pour que sa mère restât à ce point silencieuse, mais elle se gardait bien de la questionner. Après tout cela ne la concernait pas.

Puis vint le soir. Marthe rangea son tablier comme elle en avait l’habitude à une patère derrière la porte de la cuisine, et après avoir embrassé sa fille partit se coucher.

Connaissant bien sa fille, elle se disait qu’ainsi celle-ci trouverait bien une occasion pour la lire.

Et comme elle l’avait prévu, Jeanne saisit immédiatement cette opportunité pour aller fouiller dans la poche du tablier pendu à la patère.

Se saisissant de l’enveloppe, elle l’ouvrit, et avec une certaine fébrilité dans la crainte d’être surprise, lu ces quelques mots :

« Ma chère Marthe,

J’ai remarqué l’autre jour que ce corsage t’allait à merveille, et je n’ai pas compris pourquoi tu ne l’as pas acheté. Alors laisse-moi te l’offrir.

Je t’embrasse

Ton Michel »

Jeanne replia délicatement la lettre, l’inséra dans l’enveloppe qu’elle replaça dans la poche où sa mère l’avait glissée et, pensive et silencieuse, rejoignit sa chambre...

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Souvenirs, souvenirs

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            Un matin de juin 1962, je me présentais dans un collège de Montreuil pour passer les épreuves du Brevet.

            Nous étions nombreux à l’entrée pour présenter nos convocations et une file s’était formée devant des tableaux sur lesquels étaient affichés nos noms et la classe qui nous était affectée.

            Dans l’attente de l’appel nous nous sommes tous retrouvés dans la cour. J’étais seul et aucun de mes camarades du cours privé auquel j’appartenais ne m’avait accompagné.

            Etant habitué à ne suivre jusqu’ici une scolarité que dans un univers de garçons, la première chose qui m’étonna était que les épreuves étaient mixtes. Il y avait autant de filles que de garçons.

            Evidemment, sans manifester outre mesure ma surprise, je les observais toutes discrètement et mon regard finalement s’arrêta sur une jolie jeune fille blonde, diaphane, que je devinais timide.

            Je la regardais, elle m’ignorait. Quoi de plus normal après tout, alors que moi j’étais subjugué.

            Une sonnerie retentit soudain et nous nous rangeâmes devant un panneau indiquant la classe où nous devions nous rendre. Et là surprise, je remarquais qu’elle faisait partie de mon groupe.

            Sous la conduite d’un appariteur, nous avons gravi les escaliers pour gagner notre salle d’examen et l’un après l’autre nous sommes entrés.

            Nos noms étant collés sur les pupitres, nous devions respecter l’ordre qui nous avait été donné et nous asseoir à la place qui nous était indiquée.

            Je constatais qu’elle était déjà assise. Moi, je cherchais toujours la place qui m’était assignée quand passant non loin d’elle, je jetais un œil au pupitre qui était accolé au sien pour voir le nom qui y était inscrit, et… surprise, c’était le mien.

            Je m’asseyais à ses côtés.

            Les épreuves commencèrent et je n’en saurai donner l’ordre ni combien de temps elles durèrent, deux jours m’a-t-on récemment dit. Je ne me souviens que du fait que je l’ai aidée quand elle séchait, vraisemblablement en math, ma matière préférée.

            J’étais aux anges et ce brevet reste encore aujourd’hui pour moi un souvenir ineffable.

            Nous nous sommes revus pour les résultats. Elle était reçue… moi aussi…

            Elle devait partir en vacances peu de temps après m’avait-elle dit. Je la raccompagnais jusqu’à la station Avron. Elle habitait, m’avait-elle précisé, 75 rue des Grands Champs et se dénommait Lagnel. J’ai oublié son prénom.

            Au moment de nous quitter, je n’osais rien.

            Elle m’a dit au revoir et… surprise, m’a embrassé.

            Je ne l’ai jamais revue…  

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Je me souviens…

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            Oui, je me souviens de l’embarras, entre hésitation et atermoiement, que j’éprouvais auprès de cette toute jeune fille à chaque fois que je me présentais à elle au sein de cette société située à Gagny où venait d’être changée la totalité de l’installation téléphonique.

            Elle était à l’accueil, au standard, et elle me recevait toujours avec un sourire qui m’irradiait.

            Je sentais bien qu’elle avait du plaisir à me voir, et ressentir son bien-être me mettait en joie. Cependant je ne laissais rien paraître. Je m’empêchais toute avance qui eût pu laisser deviner mon intérêt pour elle. Je ne manifestais aucun sentiment ambigu qui eut pu paraître pour une inclination de ma part et je m’évitais d’éprouver convoitise et désir envers elle.

            Néanmoins, la voir à chacune de mes interventions suffisait à mon bonheur.

            Je ne m’avançais pas. Je laissais les événements décider pour moi mais je l’avais en tête en permanence, et la retrouver toujours présente au standard me réconfortait de toutes les turpitudes que me causait l’installation téléphonique que je venais de mettre en service. La voir et échanger avec elle me consolait de tous les tracas que je vivais : ces pannes à répétition qui se produisaient de façon intempestive.

            J’avais déjà remplacé toutes les cartes, ensembles et sous-ensembles, réseaux et postes, l’unité centrale, de l’alimentation jusqu’au fond de panier. Pas une fois je ne constatais le problème et j’avais même convoqué France Télécom afin qu’ils vérifient également les équipements au central.

            Rien n’y fit, les pannes recommençaient et je n’y comprenais rien.    

            A force de me présenter à elle, mes visites prirent un autre sens, une autre tournure. Les mois passèrent, les saisons aussi... Nous nous vîmes ailleurs, d’abord au café d’à-côté, puis plus loin pour éviter les histoires, les qu’en dira-t-on et ménager susceptibilités et suspicions. Nos rencontres s’effectuaient en toute bienséance et les rapports que nous entretenions relevaient d’une extrême courtoisie. 

            J’appris qu’elle avait vingt ans. J’en avais trente-cinq et j’étais marié. Toute communication entre nous, nous était donc impossible et continuer à nous voir relevait d’une forfaiture.

            Je ne m’autorisais pas à aller plus loin. Je le lui ai dit.

            Quelque temps plus tard, elle m’apprit qu’elle allait quitter son poste, que sa décision était déjà prise et elle avait même un nouvel engagement.

            Je ne pouvais l’accepter sans réagir. Je lui demandais où elle partait… et pour avoir la certitude de la revoir, je me déclarais...

            … Quelques années après, alors que nous vivions déjà ensemble, elle m’apprenait que c’était elle qui provoquait les pannes… pour me voir.

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Frère inconnu

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- Soixante-treize années se sont écoulées, moi, qui n’ai pas eu de vie, qu’as-tu fait de la tienne ? Es-tu heureux au moins ?

            - On peut le dire, oui ! Je n’ai appris ta non-existence qu’à ma quatorzième année et j’avoue avoir été surpris en le découvrant au cours d’une dispute entre nos parents, vite réprimée par notre tante. (Nous savons tous que les enfants ne ratent rien des dissimulations des adultes).

            Et pour te répondre le plus honnêtement possible, je dois te dire que j’ai vécu en solitaire jusqu’à mes vingt ans, nos parents étant souvent absents de la maison sans cependant manquer de soutien… Que j’ai alterné les gardes multiples, des années de pensionnat et que j’ai fait l’apprentissage de la solitude en nourrissant mon imagination par des lectures et des jeux où la réflexion dominait comme les mécanos et les casse-tête… Que j’ai souvent fait des allers retours entre la Bretagne et Paris pour accompagner notre mère auprès de nos grands parents âgés, ce qui m’amenait à souvent changer d’école.

            Et même après cette révélation, j’avoue ne pas m'être trop posé de questions… pour épargner probablement notre mère.

            Et je ne m’en pose d’ailleurs pas davantage aujourd’hui, si ce n’est qu’à ce moment-même au sein d’un atelier d’écriture de la rue des Cascades où vient d’être donné un sujet portant sur notre enfance et comment nous l’avons vécue, comme une introspection personnelle à rebours avec la consigne de faire intervenir une personne existante ou non, réelle ou fictive, comme un témoin qui pose une question à laquelle nous devons répondre.

            Alors, à bien y réfléchir et puisque tu n’as jamais eu la parole, curieusement j’ai pensé à toi.  

            - Oui, et alors, ça te fait quoi ?

            - Me dire que ma vie aurait pu être tout autre car un frère m’aurait évité la recherche de copains, d’amis, d’alter ego… un frère aurait pu me servir de confident, de soutien, nous aurions vraisemblablement connu les mêmes écoles, les mêmes gardes multiples, les mêmes pensionnats… nous aurions dispensé nos conseils l’un pour l’autre en écartant les avis des parents, échangé nos ressentis, partager nos peines et nos chagrins, connus nos premières expériences et nous nous serions aidés mutuellement pour les surpasser… nous nous serions amusés, jalousés, chamaillés, peut-être battus… comme ce qu’ont vécu tes quatre neveux...  Quatre neveux que tu n’as jamais pu connaître…  

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Non élucidé…

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On était Vendredi. Jacques Thodora rentrait chez lui après une semaine éreintante. Sa femme l’accueillit en le réprimandant une fois de plus sur son retard.

Jacques sentit que la coupe commençait à déborder. Toujours les mêmes et sempiternelles récriminations qu’elle lui adressait. Il en avait plus qu’assez ! Ce n’était pas elle qui se farcissait les embouteillages tous les soirs, et plus particulièrement aujourd’hui alors que les habituels départs en week-end coïncidaient avec les premiers départs en vacances de Paques. Savait-elle d’ailleurs qu’on était Vendredi et que c’était une veille de congés ? Il en doutait.

Oui, une fois de trop, marmonna-t-il en lui-même, une fois de trop...

Il ne trouva rien à lui répondre. De toute façon que pouvait-il lui répondre qui la satisfasse. Lui dire qu’on était Vendredi ? Elle aurait trouvé une autre raison pour l’accabler.

Le climat qui s’installait entre eux pour la soirée n’augurait rien de bon et dire qu’il allait devoir rester avec elle pendant deux jours avant de reprendre le travail. Tout un samedi et un dimanche à se faire la gueule. Un week-end de pourri en perspective. Une fois de plus. Elle avait le don de l’exaspérer.

Et ça commençait toujours comme ça, pour un détail, pour le moindre prétexte, la moindre contrariété rencontrée au cours de sa journée ou pour ce qu’il estimait, selon les diverses phases de la lune. Pour un oui ou pour un non, pour un oui alors qu’il eut fallu dire non, ou pour un non auquel il eut fallu qu’il réponde oui. Et même quand il ne répliquait pas car il ne trouvait rien à dire, elle se mettait dans tous ses états en extériorisant toute l’aversion qu’il lui inspirait.

Il était habitué à ce genre de scènes et ça commençait toujours de la même façon.

Il ne répondit pas à ses invectives, la laissa vitupérer dans le salon, et se réfugia dans la cuisine pour ne plus l’entendre. Il sortit une bière du frigo, la décapsula et alla s’isoler dans un coin du jardin sur une chaise longue alors que la nuit commençait à envahir l’horizon.

Il entama sa bière et commença sérieusement à rêver d’une possible séparation d’avec sa femme, mais devoir lui proposer le divorce lui paraissait une question difficile à aborder. Comment allait-elle le prendre, et lui, aurait-il suffisamment d’aplomb pour lui intimer cette solution à leur mésentente constante ? Ça paraissait extrêmement compliqué… et puis, tout en y réfléchissant d’une façon plus prosaïque, avec un divorce leur maison allait vraisemblablement être vendue, leurs biens allaient être partagés en deux parts égales, sans compter une éventuellement pension qu’il allait devoir lui verser parce qu’elle ne travaillait pas, alors que c’était lui seul qui subvenait à tous les crédits et les frais de toutes sortes depuis qu’ils étaient ensemble. Il se remémora même que ses propres parents lui avaient avancé une somme non négligeable en plus des frais de notaire correspondants à l’acquisition de leur maison. Dire qu’il ne les avait même pas remboursés, et ça, ça le faisait rager… Rien que cette réminiscence en rajoutait dans les griefs qu’il avait contre son épouse. Par contre elle, se contentait de rester à la maison, invitait ses copines, passait des après-midis entiers au bord de la piscine de la résidence et dépensait plus que de raison.

Oui, plus il revenait sur le passé plus lui revenait en mémoire qu’il contribuait à tout, pour tout, et sa femme n’était jamais satisfaite. Oh ! Il ne demandait pas de remerciements, tout juste eut-elle pu être reconnaissante pour les efforts qu’il avait témoignés depuis plus de huit années, mais non ! Plus il se remémorait ces dernières années avec elle, plus il était convaincu qu’il avait fait fausse route, il s’était laissé berné, trompé sur des sentiments que, d’ailleurs, elle ne lui avait même pas fait partager, et ça, il se le rappelait, ça avait commencé dès le début de leur vie commune. Mais qu’est-ce qu’il lui avait pris de l’épouser ? Parce qu’il venait d’un milieu ouvrier et que son futur beau-père fréquentait les hautes sphères, des sphères qui lui auraient permis de se dégager de la gangue qui l’enserrait socialement et culturellement. Possible. En tout cas, il n’en avait jamais été question…

Jacques n’aurait de toute façon rien accepté… Il était ainsi fait. Il venait d’engloutir la dernière goutte de bière. Il reposa la bouteille, se leva et alla s’en chercher une autre pour revenir s’allonger à nouveau dans sa chaise longue.

La nuit s’installait en s’épaississant, et ses idées devenaient de plus en plus noires à mesure qu’il revenait sur le passé… Et c’était vrai qu’elle n’avait jamais été satisfaite… mieux, elle avait fini par le mépriser, ça transparaissait dans ses propos comme lorsqu’elle le comparait régulièrement aux hommes de leurs relations, ses frères, son père, pire, elle le mettait en balance au mari de l’une ou au mari de l’autre, à tout leur voisinage, des voisins qui selon elle avaient toutes les qualités, la première étant celle d’avoir un emploi plus rémunérateur contrairement à lui qui était obligé de travailler des week-ends complets pour améliorer l’ordinaire.

Le constat qu’elle en tirait était qu’ils étaient tous mieux que lui et toutes les occasions devenaient prétextes pour l’accabler de reproches. Il n’était pas assez ceci, trop cela. Pire, elle allait jusqu’à s’en vouloir de l’avoir épouser, en lui disant qu’il lui avait fait pitié, il se souvenait qu’elle avait lâché cette phrase au cours d’une de leurs sempiternelles engueulades, et que c’était la raison pour laquelle elle s’était laissé séduire, si tant est que séduire, selon ses dires, avait pu être envisageable.

Plus il revenait sur leur passé commun, plus il se demandait ce qu’il faisait encore avec elle après tant d’années. Il lui fallait mettre un terme à cette triste histoire qui n’avait que trop duré et le divorce était une solution très éloignée de ce qu’il commençait à envisager. Il lui fallait la supprimer, mais comment ? L’empoisonner, la faire disparaître ? Là était la question !

Par le plus grand des hasards, il avait vu tout récemment à la télé une émission qui relatait l’histoire d’une femme aux Etats Unis qui avait eu maille à partir avec un chauffeur qui s’était mal comporté, à tel point que cette femme avait porté plainte contre lui. Le résultat ne s’était pas fait attendre. Le chauffeur avait été licencié. Une idée avait alors germé dans l’esprit du mari qui souhaitait ardemment se débarrasser de son épouse, d’une part pour toucher son assurance-vie mais aussi pour récupérer la totalité de la maison du ménage. Pour arriver à ses fins, le mari avait imaginé un stratagème pour que les soupçons s’orientent naturellement vers le chauffeur en invitant ce dernier chez lui sous le prétexte d’un arrangement entre eux afin de réparer le préjudice causé par la plainte de l’épouse.

Avant l’heure du rendez-vous, juste quelques minutes avant que le chauffeur n’arrive, le mari avait abattu sa femme avec une arme dotée d’un silencieux, puis il avait ensuite introduit le chauffeur dans la maison, lequel était entré en toute innocence avec seulement en tête que les choses allaient s’arranger pour lui. A peine le chauffeur avait-il franchi le seuil de la maison, une fois la porte refermée sur eux, le mari s’était emparé de sa batte de base-ball pour lui défoncer le crâne. Puis le corps du chauffeur allongé au sol, le mari avait placé, après avoir ôté le silencieux, l’arme dont il s’était servi pour tuer sa femme entre les mains du mort, lui avait fait tirer une balle dans le plafond pour simuler une réaction de sa part mais surtout pour imprimer ses traces papillaires et que les mains du mort reçoivent des traces de poudre. Puis le mari avait ôté ses gants en latex, les avaient jetés dans les toilettes en tirant la chasse, et enterré le silencieux au fond du jardin avant d’appeler la police.

La police, quant à elle, avait rapidement conclu son enquête en soupçonnant le chauffeur qui voulait se venger des torts que lui avait causé cette femme. Tout accusait cet homme et le mari arrivé inopinément, s’étant servi de la batte de base-ball qui trainait dans le porte-parapluies de l’entrée pour se défendre, n’avait rien à se reprocher.

Qu’avaient bien pu trouver les enquêteurs ensuite pour que ce double meurtre fut attribué au mari ? Quelle erreur avait-il bien pu commettre pour se faire piéger ? Vraisemblablement le montant astronomique de l’assurance sur la vie contractée quelques mois auparavant que le mari avait réclamé avec insistance dans les jours suivants le drame ne devait très certainement pas être étranger à ce retournement de situation. Les compagnies d’assurances, par essence soupçonneuses pour tout ce qui est excessif, avaient dû mettre la puce à l’oreille des enquêteurs. Jacques ne se sentait nullement concerné par ce problème.

De cette histoire qui s’était déroulée dans les contrées lointaines de l’Oklahoma, Jacques Thodora allait s’adapter sans faire les erreurs de l’Américain. Seulement de chauffeur, il n’y en avait point, quant au livreur, il ne voyait pas qui aurait pu jouer le rôle. Et ce genre de conflit n’était pas envisageable en France vu que les armes à feu n’étaient pas en vente libre…

Il était résolu à ce que sa femme disparaisse mais comment s’y prendre sans être impliqué dans sa disparition et aussi comment faire intervenir une tierce personne vers laquelle seraient orientés les soupçons.

Oui, comment mettre son plan à exécution ? Il passa la nuit à réfléchir et comme le hasard ne favorise que les esprits préparés, il n’eut pas de mal à construire un scénario acceptable…

Jacques avait remarqué qu’un voisin, divorcé depuis peu, habitant non loin de chez lui, n’était pas insensible aux charmes de sa femme. Il faut dire qu’il ne la connaissait pas en privé, ce qui l’excusait, et elle, elle le donnait souvent en exemple en le comparant à son mari pour le dévaluer. Cet homme avait un aspect bonhomme, prévenant, affable, sirupeux même, toujours à se mettre en avant, dans une autosatisfaction de lui-même ostentatoire. Jacques le trouvait suffisant, à la limite de la tartufferie. Il faisait partie du conseil syndical de la résidence et il en jouait.

A mesure qu’il l’analysait et le dépeignait dans tous ses travers, Jacques réalisait qu’il venait de trouver le client parfait qui, à coup sûr, le tirerait d’affaire.

Restait à trouver une occasion et un prétexte pour l’attirer chez lui, lui fixer un rendez-vous pour un jour et une heure précise, tuer sa femme dans la cuisine avec un des couteaux habituellement à disposition sur le plan de travail juste avant que le voisin n’arrive, enlever ses gants en latex avant de l’introduire et l’abattre en lui défonçant le crâne avec une bouteille de champagne abandonnée sur une table. Disposer les corps judicieusement, et immédiatement après, prendre avec de nouveaux gants en latex le couteau avec lequel il avait tué sa femme pour s’entailler superficiellement le gras du ventre et le replacer entre les mains du voisin, afin d’imprimer sur le manche les traces papillaires de celui-ci. Faire tomber le couteau non loin de son corps et se débarrasser des deux paires de gants dans les toilettes. Tirer la chasse, et pour finir, appeler la police…

Restait à trouver un prétexte anodin pour l’attirer chez lui, tout préparer à l’avance, puis fixer la date et l’heure du forfait.

Le jour fatidique arriva. Jacques avait tout prévu… du moins le croyait-il. Le prétexte, il le tenait. Sa chaudière avait des ratés, elle ne fonctionnait pas correctement, et comme justement ce voisin se prétendait en plus spécialiste en chaufferie, un rendez-vous pour étudier le problème paraissait tout à fait fondé, non pour réparer celle-ci, mais pour bénéficier de ses conseils avisés.

Jacques était rentré bien avant l’heure du rendez-vous. Il avait garé sa voiture de l’autre côté du lotissement, puis il était passé par le fond de tous les jardins en prenant bien garde de ne rencontrer personne, jusqu’à atteindre le sien sans que quiconque ne s’en aperçoive. Un rapide coup d’œil par les baies vitrées de son pavillon, et il constata que sa femme était dans le salon plongée dans un livre. Il pénétra dans la maison par la porte à l’arrière de son garage et se glissa subrepticement dans la cuisine sans faire de bruit. Il lui restait une demi-heure d’attente avant que le voisin ne se manifeste. Une demi-heure pour supprimer sa femme, c’était tout le temps qui lui restait…

Il aurait pu surseoir, revenir en arrière, tout était encore possible, mais non, il était définitivement résolu… il fallait en finir une fois pour toutes.

Il enfila des gants en latex, et le couteau le plus acéré en main, il se positionna derrière la porte de la cuisine. Puis tremblant de tous ses membres, il héla sa femme.

- Martine !

- Quoi ! Comment ? Mais qu’est-ce que tu fais ici à cette heure ?

- Tu me reproches toujours mes retards, alors aujourd’hui, je suis en avance. Cette fois-ci tu ne vas tout de même pas me le reprocher ! Je voudrais que tu viennes dans la cuisine… j’ai quelque chose d’important à te dire.

- Quoi ? Et qu’est-ce que tu as à me dire ? Tu ne peux pas venir dans le salon ?

- Non ! Je te demande de venir dans la cuisine !

Il insista à plusieurs reprises en élevant le ton. Elle ne bougeait toujours pas de son fauteuil. Jacques ne quittait pas son poste caché derrière la porte.

Au bout d’un long moment, passablement énervée par le ton que prenait son mari, lequel commençait à perdre patience, elle se décida enfin à quitter son livre en râlant parce qu’il la dérangeait.

Elle traversa le salon et, bougonne, entra dans la cuisine sans se douter de ce qui l’attendait. Jacques lui asséna le premier coup de couteau à travers le torse. Les yeux exorbités, elle poussa un cri vite étouffé par son mari qui, les yeux dans les yeux, lui trancha la gorge. Le sang gicla. Il s’écarta d’elle la laissant s’affaisser en proférant des sons inaudibles. Les yeux exorbités, elle tentait vainement de retenir le sang qui s’échappait de son cou en un flot bouillonnant.

Trois minutes à peine avaient suffi pour régler le premier problème. Sa femme était maintenant allongée à ses pieds, inerte. Lui, fort heureusement ne portait aucune trace de sang. Une chance. Il lui fallait passer à la deuxième phase. Il jeta un regard autour de lui, posa le couteau au sol, puis ôta ses gants et les jeta dans les toilettes. Il tira la chasse.

Il ne lui restait plus qu’à poser une bouteille de Champagne sur la crédence de l’entrée et attendre le voisin. Quelques minutes encore avant que ce dernier se manifeste, et tout serait fini. La fébrilité de Jacques était à son apogée, le cœur battant, il ne pouvait s’empêcher d’haleter. Il manquait d’oxygène et la chaleur l’accablait alors que la température extérieure n’excédait pas les 15 degrés.

Pourvu que le voisin ne remarque rien, n’arrêtait-il pas de se dire en lui-même. Il lui fallait absolument se ressaisir. Se passer de l’eau sur le visage, et surtout, boire, boire. Seulement, il ne pouvait plus accéder à la cuisine, la mare de sang s’étant étendue jusqu’au réfrigérateur. Il monta à l’étage, se passa rapidement une serviette mouillée sur le visage et étancha sa soif directement au robinet. Puis il redescendit dans le vestibule, et derrière la porte, il jeta un coup d’œil à sa montre. Le voisin était en retard. Il se faisait attendre. Il ne manquait plus que ça. Si l’autre avait oublié son rendez-vous…

Son affaire devenait extrêmement mal engagée. Sa femme était maintenant morte et personne sur qui faire porter les soupçons de son meurtre. Les minutes s’écoulaient et toujours aucune manifestation du voisin. Jacques refaisait le scénario dans le cas où le voisin n’arriverait pas. Il lui fallait tout de suite sans trop attendre revenir vers sa voiture, refaire le trajet inverse par lequel il était arrivé sans se faire repérer, puis reprendre le volant et revenir chez lui comme il en avait l’habitude tous les soirs. Et se conditionner à jouer une stupéfaction mêlée d’horreur en tombant sur le corps de sa femme après avoir passé le seuil de sa porte. Alors qu’il avait déjà posé sa main sur la poignée de la porte qui le menait au garage, on frappa à l’entrée.

Le voisin était enfin au rendez-vous. En retard certes, de plus d’une demi-heure, mais présent. Jacques allait pouvoir procéder à la deuxième phase de son plan.

Il ouvrit la porte. Son embarras fût à la hauteur de sa stupéfaction. Il attendait la visite du voisin et quelqu’un d’autre se présentait à lui. Quelqu’un qu’il ne connaissait pas.

Il ne l’écouta pas, ne comprenait rien à ce qu’il avançait, englué qu’il était dans sa stratégie avortée. Jacques était en pleine panique. Il ne pouvait rester inactif, ce gars devenait un témoin incontestable pouvant justifier sa présence. Il ne pouvait décemment pas le laisser repartir. Il le fit entrer et, à peine celui-ci venait-il de franchir le seuil de l’entrée, qu’il se saisît de la bouteille de Champagne pour lui asséner sur le sommet du crâne un coup d’une violence inouïe. L’homme s’écroula comme une masse. Pour s’assurer tout à fait de son trépas, Jacques renouvela son geste à plusieurs reprises. Le crâne céda sous les coups.

Jacques disposa son corps dans la cuisine puis il enfila une nouvelle paire de gants en latex pour récupérer le couteau et le mettre entre les mains de l’homme afin d’imprimer ses traces papillaires, ce qui lui aurait manqué s’il avait décidé de partir avant que l’homme n’arrive. A cette seule pensée, une sudation soudaine lui glaça les tempes.

Et après un dernier tour d’horizon pour s’assurer que tout correspondait à ce qu’il avait prévu, il quitta sa maison par l’arrière du garage.

Moins d’une minute après, il récupérait son véhicule et s’apprêtait à rentrer chez lui.

Il lui fallait jouer serré, concentré, comme il ne l’avait jamais été. Il démarra, contourna la résidence, et se gara comme il en avait l’habitude devant chez lui.

Il entra le plus naturellement possible par crainte d’être observé, referma la porte derrière lui et enfila à nouveau ses gants en latex qu’il avait gardé dans sa poche. Et, reprenant le couteau des mains de l’individu, il se le planta dans le gras du ventre. Puis, il posa le couteau au sol, ôta ses gants et les jeta dans les toilettes en tirant la chasse.

Tout lui paraissait comme il l’avait prévu, excepté que ce n’était pas le voisin qui avait fait les frais du plan qu’il s’était fixé, mais qu’importe. L’un ou l’autre, quelle différence !

Il resta une minute à réfléchir dans le silence de la maison, et alors qu’il commençait à ressentir une douleur particulière à l’abdomen, il remarqua soudain qu’il saignait abondamment au niveau de la ceinture.

Singulièrement inquiet sur la profondeur de la blessure qu’il s’était infligée, la souffrance ressentie devenant soudainement insupportable, il sortit de chez lui en titubant, hasarda quelques pénibles pas au dehors pour finalement s’écrouler au pied d’un forsythia en fleur…

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Imprévisible

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Elle avait tout juste 26 ans et était directrice d’une importante maison de retraite ayant pour cadre un château situé dans l’Essonne. A vingt-huit ans, lui était chargé de la mise en service de la nouvelle installation téléphonique de l’établissement. Ils étaient tous les deux mariés chacun de leur côté.

Au cours d’une rencontre impromptue dans le bureau directorial nécessitée par les besoins du service…

Face à face et à proximité l’un de l’autre, ils se regardèrent, ne sachant que faire de leurs dix doigts, elle, l’écoutant lui expliquer ce que visiblement elle ne comprenait pas ou ne voulait comprendre. Peu lui importait en effet, selon elle, ce qu’il avait à lui dire. Elle écoutait seulement le son de sa voix qui, sans qu’il s’en doutât, la charmait. Quant à lui, il commençait à perdre pieds dans ses explications et, se rendant compte qu’elle ne prenait aucune attention à ses propos, se troubla devant l’insistance du regard enveloppant et appuyé de son interlocutrice.

Sur un bureau à côté d’eux, se trouvait un réceptacle contenant des élastiques. Il en prit un, et pour contenir la gêne qui commençait à l’envahir, entreprit de jouer avec en le manipulant entre ses doigts. Il continuait de paraphraser sans trop savoir où la discussion allait le mener quand soudain contre toute attente, elle s’avança vers lui et lui enleva l'élastique des mains, pour à son tour se mettre à jouer avec.

Surpris par cette réaction à laquelle il ne s’attendait pas, il le lui reprit, et le rire les gagna tous les deux jusqu'à ce que l'improbable se produisit…

Poussés par un désir inavouable, totalement inconscients et sans craindre qu’on les surprenne, comme deux aimants, ils s’accolèrent l’un à l’autre en s’étreignant dans un fougueux baiser...

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